Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
AFRIQUE NOUVELLES

Un autre regard sur l l'Afrique et le monde.

TCHAD: MILITARISME DIPLOMATIQUE OU DIPLOMATIE MILITAIRE?

Publié le 4 Juin 2015 par ADJORBEL&MADJILEM

CC: @Alwihdainfo

CC: @Alwihdainfo

FRAGMENT DE REFLEXION SUR L'ACTION MILITAIRE TCHADIENNE EN AFRIQUE

En matière de diplomatie, l’objectif pour tout Etat est de faire parler de lui en bien ou en mal ou d’affirmer tout simplement son existence et en tout temps ou à un moment précis de son histoire. Cette logique diplomatique traduit en réalité ce que l’on peut déduire de la métamorphosation de la politique africaine du Tchad depuis la proclamation de la Renaissance de la République du Tchad en 2010 par le Président Idriss Deby Itno, et surtout depuis l’intervention salvatrice de l’armée nationale tchadienne au Mali.

En effet, depuis cette date, le Tchad s’est activé sur la scène sous régionale par le biais du rétablissement de ses relations diplomatiques avec Khartoum et de sa médiation dans le processus de paix inter-soudanais, et au sein de la CEEAC, par le rôle décisif qu’il joue encore dans le conflit centrafricain. Au Sahel, le Tchad s’est distingué par le déploiement de quelques 2000 soldats aux côtés de la France pour débusquer les terroristes de l’Adrar des Ifoghas, au Nord-Mali. Il vient d’ailleurs de frapper un grand coup en envoyant un contingent de plusieurs milliers hommes au Cameroun, au Nigeria et au Niger pour traquer les « illuminés » de Boko Haram. Il ne s’agit là que des actions très récentes. Cependant faut-il rappeler qu’en 1997, plus de 2000 soldats tchadiens avaient franchi la frontière de la République Démocratique du Congo pour combattre aux côtés des forces soutenant le président Laurent Désiré Kabila pendant la « première guerre mondiale africaine ».

Au regard de cette courte analyse, quelques questions se posent : qu’est ce qui explique la prépondérance du facteur militaire dans la conduite de la diplomatie africaine du Tchad ?

Le pays dispose-t-il des moyens de cette politique ?

Quelles sont les conséquences qui peuvent en découler ?

Avant de répondre à cette problématique, il importe de distinguer certaines notions fondamentales qui sont employées dans ce texte.

Il s’agit entre autres du militarisme diplomatique et de diplomatie militaire.

On entend par militarisme diplomatique, l’usage par un pays de son atout militaire comme un moyen d’exprimer son identité et son existence, et d’assumer ses responsabilités internationales dans le concert des Nations.

Ainsi, à la différence de la militarisation diplomatique des grandes puissances qui se traduit par l’usage de leurs puissances militaires pour terrifier les petits pays et en vue d’influencer le cours de la politique internationale ; le militarisme diplomatique, tel qu’observer au Tchad consiste pas à terroriser des pays dits faibles, à l’engagement du potentiel militaire tchadien, qui symbolise la République du Tchad, au service de la lutte contre le terrorisme et du maintien de la paix et de la sécurité des Nations-Unies.

La diplomatie militaire quant à elle, peut, d’une part, se rapprocher de la diplomatie coercitive qui est définie par le Lexique de science politique comme l’ensemble de « mesures visant à mener une politique de prévention des conflits dans l’ordre internationale, par le biais d’une pression, d’une menace ou même d’un usage limité de force ». D'autre part, elle peut traduire l’usage quasi-exclusif par un Etat de sa force militaire dans la conduite de ses affaires extérieures. Ce fût par exemple le cas de l’invasion de l’Iraq par les Etats Unis d’Amérique, décidée unilatéralement par le président Georges Bush en 2003 ou encore l’intervention de la France et de la Grande Bretagne, avec l’appui de l’Organisation pour le Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), contre​ Mouammar Ghadafi en 2011. De ce point de vue, la diplomatie militaire peut être rapprochée de la militarisation diplomatique.

Cette démonstration laisse entrevoir clairement le type de diplomatie que mène la République du Tchad depuis sa Renaissance : il s’agit d’une diplomatie panafricaniste et solidaire, qui se caractérise par son soutien et sa participation à lutte contre le terrorisme qui saborde les espoirs des peuples du Mali, du Nigeria et du Cameroun en un avenir sans violence et paisible, par lequel chacun peut jouir pleinement de sa liberté et de sa religion, sans crainte de représailles.

Ainsi, dans la lutte contre les djihadistes au Mali par exemple, le Tchad n’a pas hésité à déployer son contingent qui est de loin, le plus important après le contingent Serval. De même dans la lutte contre Boko-Haram, les troupes tchadiennes n’ont ménagé aucun effort en se projetant sur le sol nigérian pour déloger la secte islamiste de son bastion de Gambarou. Dans un cas comme dans l’autre, on a pu observer que le Tchad n’a pas lésiné sur son potentiel militaire pour voler au secours de ses voisins ou pour répondre favorablement à la demande de la Communauté Internationale. L’armée nationale tchadienne est devenue par conséquent l’élément fondamental de la diplomatie tchadienne.

Ceci nous amène directement à notre première question : qu’est ce qui explique la prépondérance du facteur militaire dans la politique africaine du Tchad ?

Trois facteurs permettent de répondre à cette question : le facteur historique, le facteur contextuel et le volontarisme du gouvernement tchadien.

Premièrement, la prépondérance du facteur militaire dans la diplomatie africaine du Tchad résulte de la longue tradition guerrière du peuple tchadien. Cette tradition remonte tout d’abord de la période des Sao, des créatures de grandes tailles, qui peuplaient les rives des fleuves Chari et Logone. D’après la légende, ces géants, forts et robustes vivaient de la chasse aux éléphants et de la cueillette. D’après la même légende, les tchadiens seraient des descendants de ces géants ; par conséquent, ils auraient hérité de toutes leurs qualités. C’est ce qui expliquerait certainement leur solidité, leur habilité et surtout leur courage lors des combats. Histoire réelle ou idéale? Il s'agit en tout cas de l'histoire qui s'enseigne dans des écoles primaires, collèges, en passant par lycées et universités au Tchad ; et fait d'ailleurs la fierté du peuple tchadien. La tradition guerrière du Tchad remonte également du temps des grands royaumes qui se partageaient le Centre-Ouest, l’Ouest et l’Est du Tchad actuel. Il s’agit des royaumes du Kanem-Bornou, du Ouaddaï et celui du Baguirmi. Ces royaumes connaissaient très tôt l’art de la guerre et la maîtrise des armes à feu à leur époque. C’est ce qui leur a permis de résister pendant des longues années aux conquérants arabes et français.

Enfin, la guerre tchado-libyenne concernant la Bande d'Aozou et des diverses guerres civiles et rebellions qu’a connu le Tchad entre 1966 et 2008 ont énormément à aguerrir les soldats tchadiens et à les habituer aux rudes combats en terrains découverts et accidentés.

Deuxièmement, l’environnement dans lequel se trouve le Tchad ne lui laisse d’autres choix que de valoriser son potentiel militaire. Dans une bande sahélienne, partant de la Mauritanie à la Somalie en passant par le Mali, le Niger, le Nigéria et le Soudan très instable, et qui tend à devenir un terrain de prédilection pour des grands bandits, des extrémistes sans foi ni loi; une bande sahélienne dans laquelle le risque de propagation des troubles intérieures dans certains Etats, les menaces terroristes et les trafics d’armes sont monnaies courantes et portent le risque éminent de déstabilisation du pays, l’armée apparaît comme le bouclier le plus approprié qu’il convient de mettre en facteur dans l’action diplomatique de l’Etat.

Le Tchad, en tant qu’Etat sahélien a bien compris la leçon comme quoi, pour demeurer en paix et préserver son intégrité territoriale, il faut éradiquer l’insécurité à sa source.

Le volontarisme gouvernemental constitue le troisième élément déterminant dans le militarisme de la diplomatie tchadienne en Afrique. En effet, il ne fait aucun doute que le Tchad est un pays immensément riche en hydrocarbure et diverses ressources minières. Mais de toutes ces potentialités, le potentiel militaire est sans doute le plus achevé, capable de permettre au Tchad d’entreprendre une diplomatie active sur la scène internationale. C’est la raison pour laquelle le gouvernement tchadien a consenti de ressources considérables pour équiper et former son armée, afin de la rendre capable d’assurer la sécurité nationale de même que pour s’en servir comme arme diplomatique de premier plan.

En définitive, le militarisme de la diplomatie tchadienne en Afrique s’explique par la longue tradition guerrière des soldats tchadiens, par le contexte sécuritaire régional et par la volonté du gouvernement tchadien de mettre à profit son armée, réputée pour son efficacité, dans la conduite de sa diplomatie africaine.

Cependant, le Tchad dispose-t-il des moyens de sa politique ou encore de ses actions ?

Répondre illico presto à cette question par l’affirmatif serait faire preuve d’imprudence. Il convient tout d’abord d’apporter quelques précisions.

En effet, le Tchad est considéré, depuis son intervention au Mali, comme une puissance militaire au Sahel tout comme dans la sous-région d’Afrique centrale. Cette considération qui fait la fierté du peuple tchadien semble pourtant trop exagérée, si seulement l’on s’en tient aux critères de ce que peut être une puissance militaire. A défaut, le Tchad peut être vu comme une petite puissance militaire à dimension régionale, parce qu’il est encore très dépendant de ses partenaires occidentaux en matière de renseignements, de transports aérien et de ravitaillement. Ceci nous conduit du coup à répondre à la question sus posée. Autrement, il existe deux types de moyens qui participent au militarisme de la diplomatie africaine du Tchad : la disponibilité des troupes et les moyens découlant de la coopération internationale.

Le Tchad dispose d’un nombre impressionnant de troupes. Même si l’on ignore leur nombre exact, ils seraient certainement de dizaine de millier, bien formés et entrainés, capables de résister sous une chaleur torride, de plus de 45 degré Celsius, tout comme dans une froid glaciale comme en témoigne la variation climatique au Tchad et de façon générale, dans tout le Sahel. La capacité d’adaptation des soldats tchadiens au nord-Mali et au nord-ouest nigérian, leur maîtrise des reliefs de ces régions ainsi que l’assiduité dont-ils font preuve lors des combats confirment à juste titre tout l’effort que font les tchadiens pour se doter d’une armée redoutable, mais au service des causes justes et nobles.

Les moyens de la coopération internationale sont essentiellement ceux qui comblent les insuffisances du Gouvernement tchadien. Ce sont entre autres les moyens de transports de troupes, de surveillance aérienne, de ravitaillement et de renseignement. L’armée exige beaucoup d’équipements matériels et pour l’heure, l’armée nationale tchadienne ne dispose pas encore d’avion-cargo pour transporter massivement des soldats et des blindés, ni des drones et des avions espions. C’est pourquoi dans le cadre de la lutte contre Boko-Haram, les Français et les Américains mettent à contribution leurs avions-espions pour fournir de précieux renseignements aux troupes tchadiennes (et africaines) dans leurs efforts de guerre. Les moyens de la coopération internationale s’expliquent en outre par la légitimation et la légalisation de l’action militaire tchadienne par l’Union Africaine (UA) et l’Organisation des Nations Unies (ONU). Cette dernière participe d’ailleurs avec l’Union Européenne (UE) au financement des opérations au Mali, et serait même en passe de supporter financièrement les opérations contre la secte Boko Haram.

Si le Tchad dispose des ressources propres et des moyens de la coopération internationale qui soutiennent sa diplomatie en Afrique, quelles conséquences cette diplomatie, à l’avenir, produira-t-elle sur le Tchad ?

Depuis les événements des 02 et 03 février 2008, le Tchad a pu se réorganiser pour s’imposer sur la scène continentale comme un acteur crédible dans la résolution des crises qui secouent le continent africain. Cette action a été renchérie par la réforme de l’armée nationale tchadienne qui, depuis 2012, est de plus en plus sollicitée pour son efficacité sur le théâtre des opérations. En outre, le pays est devenu le plus attractif et sûr dans une région en plein mouvement. Les investisseurs s’y intéressent et il abrite de façon régulière des sommets sur des questions touchant à la paix et à la sécurité en Afrique centrale et au Sahel. Mais le revers de la médaille paraît bien dangereux. L’observation de la propagation du terrorisme montre que cette nébuleuse se propage de façon réactive, c’est-à-dire qu’elle frappe en représailles les pays qui s’engagent à contrecarrer ses actions. Le carnage du Charlie Hebdo en France, les massacres perpétrés au Niger par la secte Boko Haram et les récentes attaques terroristes à Bamako au Mali et à Tunis prouvent qu’aucun pays engagé dans la lutte contre le terrorisme n’est exempté des représailles. Au Tchad, même si le risque d’une attaque terroriste n’est pas imminent, il ne doit pas pour autant être minimisé. Avec l’Etat Islamique au nord (Libye), les narcotrafiquants et Al-Qaïda au Maghreb islamique au Sahel, et Boko-Haram à l’Ouest, la prudence doit être de mise. Le Tchad pourrait être sanctionné pour avoir déployé son armée traquée les terroristes au Sahel et au Nigéria, à l’instar des menaces que profère le chef de la secte Boko-Haram, Aboubacar Shékaou.

Cependant, rien de tout ceci ne doit dissuader le Tchad de concourir à la lutte contre le terrorisme international et au maintien de la paix et de la sécurité en Afrique Centrale et au Sahel.

Ce militarisme diplomatique qu’il entreprend ne lui permet non pas seulement de s’affirmer comme une puissance montante, mais aussi de garantir un minimum de sécurité aux africains et de brandir les espoirs de plus en plus effrités du panafricanisme dont ils rêvent tant, qu’ils soient maliens, nigériens, nigérians, centrafricains… et mêmes tchadiens.

En fin, ce militarisme diplomatique est surtout nécessaire parce qu’il en va de son existence et de sa sécurité dans ce cœur stratégique et tant convoité du Continent africain.

Commenter cet article