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AFRIQUE NOUVELLES

Un autre regard sur l l'Afrique et le monde.

LA POLITIQUE ETRANGERE DU TCHAD : LA NECESSITE D’UNE REFORME

Publié le 29 Juillet 2015 par ADJORBEL Stéphane

LA POLITIQUE ETRANGERE DU TCHAD : LA NECESSITE D’UNE REFORME

Pour s’affirmer sur la scène internationale, plusieurs nations ont recours à la politique étrangère. En fonction de leurs intérêts stratégiques et/ou priorités, les Etats définissent ses grandes orientations et se donnent les moyens, lato sensu, pour y parvenir. Ces orientations servent de grille de lecture aux observateurs et analystes pour porter un regard sur la politique étrangère de tel ou tel pays. Le Tchad, en a certainement une dans son escarcelle. Néanmoins, sa politique extérieure répond-elle aux exigences de l’heure ? Début de réponse…

Contrairement à certaines idées largement répandues, la politique étrangère d’un Etat ne saurait se confiner à la seule diplomatie. Laquelle s’intéresse aux relations bilatérales (entre Etat à Etat, entre un Etat et une Organisation internationale, entre deux organisations intergouvernementales) et multilatérales (impliquant les Etats au sein des organisations internationales). La politique étrangère, elle, embrasse en sus de la diplomatie traditionnelle, la stratégie, la géopolitique et la géo-économie. Sans entrer dans des considérations terminologiques d’ordre savant, rappelons que la stratégie s’entend des moyens composites (politique, militaire, économique, technologique, culturel,…) définis et mis en œuvre par l’Etat pour peser dans les relations internationales. La géopolitique pour sa part renvoie au déploiement de la politique dans l’espace. En clair, il s’agit de la variabilité de la politique suivant les zones, étant entendu que les intérêts varient forcément d’un espace géographique à un autre. La géo-économie, néologisme relativement récent, se rapporte à l’influence de l’économie exercée dans telle ou telle sphère en fonction des intérêts éminemment stratégiques.

Cela étant, quelle est la politique étrangère du Tchad ? Question dense, complexe et transversale…

Sans prétendre y apporter de réponses substantielles, il importe de reconnaitre que la politique extérieure du Tchad fait l’objet d’une omerta. En effet, le vulgum pecu s des tchadiens n’en sait pas grand-chose. Elle est enfermée dans le cercle des élites qui y fait la pluie et le beau temps. Nonobstant le mystère qui semble entourer cette politique, peut-on affirmer avec assurance qu’elle existe vraiment ? Son existence-à mon entendement-, présuppose l’affirmation sans équivoque de ses principes cardinaux, des objectifs qu’elle poursuit et in fine des moyens qu’elle entend déployer pour parvenir à sa fin. L’observation ne serait-ce empirique du comportement des acteurs impliqués, laisse croire à une certaine vacuité, du moins à des élucubrations. Il manque de constance dans sa conduite et des lignes directrices, à telle enseigne qu’on s’interroge sur son existence. Au point où nous sommes, l’on se demande si le Tchad ne se complait pas à suivre les diktats d’autres acteurs influents. Même si, au demeurant, la politique étrangère d’un pays ne fait pas toujours l’objet d’une vulgarisation, sa gouvernance aurait pu livrer au fil du temps ses secrets. Que nenni ! Une question reste pendante : que cherche le Tchad sur la scène sous-régionale, régionale et internationale ? La puissance, la sympathie ou la complicité, les partenaires pour les affaires, l’affirmation de son leadership…Depuis plus de deux décennies, la conduite de cette politique (accréditation des ambassadeurs et représentants, gestion des représentations diplomatiques et consulaires, relations avec la diaspora, etc.), n’obéit pas à un principe directeur. A tout le moins, l’on peut affirmer que le Tchad s’est illustré sur le plan militaire par son interventionnisme outrancier. Il est intervenu depuis des lustres dans certains pays de la grande Afrique centrale (Angola, RDC, Burundi, RCA, Cameroun, Congo, Guinée équatoriale,…) pour aller exhiber ses hauts faits d’arme. Et récemment, pour traquer les djihadistes au Mali, les milices en République centrafricaine, les fous d’Allah au Cameroun, Niger et Nigeria. Que nous rapportent toutes nos prouesses militaires en terre exotique ? Ni avantages financiers, ni la promotion de nos élites, ni la reconnaissance d’un quelconque leadership militaire. A contrario, le Tchad est récompensé en monnaie de singe. L’exemple de notre retrait de la RCA et nos déboires au Mali sont encore là pour illustrer notre propos. Ce qui explique la promptitude du Tchad sur certains foyers de conflit est le souci de faire ombrage à sa politique intérieure. Le Tchad se montre proactif dans ces zones conflictuelles (Mali, RCA) pour que l’Hexagone tolère sa gouvernance scabreuse. Un tel dessein ne saurait sous-tendre la politique étrangère d’un pays sérieux. Rappelons, à toutes fins utiles, l’accession du Tchad en 2013 comme membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. On y a vu une percée diplomatique. En quoi cette broutille participe t-elle au rayonnement de notre pays ? Cette « percée » répond t-elle à une démarche d’ensemble ou est-elle isolée ?

Au surplus, une politique étrangère viable, dans une conjoncture marquée par notre posture de « Gendarme d’Afrique », aurait suscité en notre faveur un retour sur investissement. En effet, nos exploits guerriers auraient pu avoir une incidence certaine sur la promotion de nos élites, avec un Bedoumra Kordjé au perchoir de la BAD (Banque africaine de développement), un Nagoum Yamassoum comme Commissaire spécialisé à l’Union africaine(UA), un Abdelkerim Bikimo trônant au commandement de la MINUSMA (Mission des nations unies pour la stabilisation du Mali). Au lieu de cela, le Tchad a frôlé ces postes qui lui étaient presque acquis au regard de sa contribution conséquente dans les conflits indiqués supra. Tirons-en un enseignement pour l’avenir : le Tchad n’a pas voix au chapitre dans la « Cour des grands ». Il faut admettre cette couleuvre dure à avaler et scruter les pistes de notre repositionnement.

Face aux faiblesses structurelles de notre diplomatie, que faut-il entrevoir pour l’avenir ?

Pour ma part, j’estime que plus d’un demi-siècle après notre indépendance, un aggiornamento s’impose à notre diplomatie. Les temps n’étant plus les mêmes, les exigences internationales ayant manifestement évolué, nous nous devons de nous arrimer. Selon toute vraisemblance, notre diplomatie suit jusqu’à nos jours, une approche traditionnelle fondée sur des rapports interétatiques et multilatéraux. Et pourtant, le monde contemporain se révèle foncièrement concurrentiel, avec le vent impitoyable de la mondialisation de l’économie. Notre diplomatie doit impérieusement s’affranchir de sa seule dimension politique pour faire sienne l’économie et plus précisément le commerce international. C’est le fameux paradigme de la diplomatie économique. Ce renouveau appelle aussi des réformes structurelles : le ministère des affaires étrangères doit intégrer une direction technique dédiée au commerce international ; nos représentations diplomatiques et consulaires doivent avoir des services consacrés à la même cause pour attraire les investissements dans notre pays. Elles doivent aussi servir de courroie de transmission entre les opérateurs économiques tchadiens et les autorités accréditaires. Il leur incombe ainsi une mission de facilitation des affaires. Une telle ambition pourra être expérimentée par le Tchad dans la sous-région Afrique centrale, où il peut y exporter son coton brut ou raffiné, pour ne citer que cet exemple d’avantages comparatifs. Nos Chefs d’Etat doivent aussi prendre langue avec les hommes d’affaires à l’instar de leurs homologues européens. Ils doivent lors de leur voyage ou périple intégrer dans leurs délégations des opérateurs économiques, non seulement pour aller conquérir d’autres marchés, mais aussi pour le partage des expériences.

Au plan politique, le Tchad gagnerait à faire émerger une génération de « faiseurs de paix » ou médiateurs. Jusqu’ici notre pays est à la traine. A l’occasion de la résolution des récurrents conflits sur le continent et particulièrement dans le cadre des organisations auxquelles nous sommes membres (CEEAC, CEMAC, CBLT, ABN, CILSS,…) le Tchad pourra proposer les dignes fils du pays à la rescousse des pays amis. Cela participerait à redorer notre blason, sinon renforcer notre réputation. Pour ce genre de missions, le dévolu sera jeté sur des personnalités particulièrement qualifiées indépendamment de la coloration partisane. Dans la même veine, mais au plan militaire cette fois, le pays de Toumai doit capitaliser son interventionnisme en Afrique, en faisant la promotion des officiers rompus dans les méandres de l’armée pour qu’ils intègrent les missions de paix onusiennes ou africaines. Un pays comme le Rwanda a su à cet égard faire ses classes. Aussi, le Tchad doit affermir sa posture pour devenir une puissance militaire sous-régionale. Un tel positionnement lui permet de peser dans les grandes décisions et les options politiques de la CEMAC. La puissance militaire dénotera en faveur du Tchad une capacité de dissuasion à l’encontre des forces hostiles, endogènes ou exogènes.

En outre, la culture ne doit être le parent pauvre de la valse diplomatique que nous souhaitons pour notre pays. Le politique doit créer des débouchés en termes de marché pour les œuvres culturelles (Films, musiques, livres,...) de ses compatriotes. Ces derniers sont tout aussi astreints à une obligation de résultat : leurs créations doivent être de qualité. L’industrie cinématographique nigériane qui a révolutionné le 7ème art dans ce pays ne s’est pas faite sans le concours des politiques. D’ailleurs, le même politique a ressassé son engagement de le sortir de l’hibernation ambiante. Cet exemple reste valable pour d’autres pans de la culture qui n’attendent que l’apport du politique pour éclore. Le Tchad ne manque pas de génie…

Pour maintenir la dragée haute, il faut des ressources humaines formées et qualifiées : des diplomates, des stratèges, des internationalistes, des politologues, et que sais-e encore. Le Tchad en a les moyens. Il lui faut une bonne dose de volonté politique. Et notre politique étrangère en sortira aguerrie.

 

 

 

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